Je n'en veux pas de cette grande soupe à la grimace
Je suis en train de faire mijoter une grande soupe à la grimace...
Un grand bouillon où tout est mélangé,
même si l'on sait, par avance, que ce sera proprement immangeable !
J'y ai plongé mes problèmes personnels, toujours aussi insondables,
mes innombrables et grandissants soucis de santé,
et puis aussi les sentiments d'injustice vécus par mes deux filles
qui se chamaillent le droit d'être grandes,
qui revendiquent le fait de bénéficier de passe-droit l'une par rapport à l'autre,
qui m'arrachent mon temps, mes tripes, mes sous...
et puis encore les quelques incompréhensions de mon mari par rapport à ce chahut adolescent,
lui qui aimerait tant que tout roule sans histoire,
que tout se règle à l'amiable, mais sans devoir parlementer,
que chacun reste à sa place, mais sans devoir cadrer,
que chacun prenne des responsabilités, mais sans devoir sans cesse les rabâcher,
que l'ordre règne, mais sans devoir expliquer ce qu'est, selon lui, le désordre...
et puis aussi mon travail, qui me demande une présence de tous les instants,
une débauche d'énergie incroyable, un mental d'enfer pour aider ces enfants
qui ne demandaient pas à être, déjà si tôt, chahutés par la vie,
qui ont été balancées d'institution en institution,
qui sont déjà en total décalage avec la "norme",
qui ont tant besoin de soutien, de repères, de compréhension et d'écoute.
et puis, comme s'il n'y en pas déjà assez,
il y a lui, ce père, mon père, qui prend, involontairement pour une fois, le devant de la scène :
Moi, je l'aurais souhaité différent...
Forcément, on choisit ses amis pas sa famille, dit-on !
Disons que je regrette de n'avoir été souvent qu'en contraction, en rebellion avec lui.
Pas ou trop peu de gestes affectueux de sa part, et je me suis moi-même bloquée à son égard.
Je m'en suis forgée une image de l'homme détestable au plus haut point :
petit coq en société et macho dans l'intimité;
3 mots inconnus dans son vocabulaire : s'il-te-plaît, merci et pardon;
parti de zéro et fortuné, dans une conjoncture qui le permettait encore,
et qui ne comprend pas que les autres puissent se mettre dans la merde financièrement parlant;
Dur en affaire et dictateur en famille;
Impétueux, le coup de gueule facile et les mots qui blessent;
Le regard dur comme pour me dire encore et encore que la vie n'a pas toujours été facile pour lui,
et que je devrai m'en rappeler pour le restant de mes jours !
Et là, paf, j'apprends que les médecins sont catégoriques,
son cancer s'est très rapidement aggravé,
on lui donne entre 2 mois et 2 ans...
Et je n'arrive pas à être bouleversée
(ou est-ce que je ne le veux pas inconsciemment ?),
je sens que ma maman m'en veut pour la distance que je prends,
je comprends qu'elle pleure parce qu'elle a peur,
mais je n'arrive pas à la rassurer,
elle voudrait que je sois là, tout près, très présente,
que je téléphone tous les jours pour prendre des nouvelles,
que je pleure avec elle sans doute,
(car elle sait que je ne pourrai pas pleurer avec lui)
mais je n'y arrive pas.
C'est trop me demander que de m'attendrir, comme ça, d'un coup...
C'est trop me demander, c'est trop lourd, c'est trop dur.
J'ai envie de pleurer, oui, mais pas POUR CA, pas POUR LUI.
J'ai envie de pleurer, oui, parce que je me sens envahie,
parce que je suis en train de puiser dans mes réserves,
parce que je ne veux pas transformer de l'empathie en pitié,
parce que je suis fatiguée, tellement fatiguée.
Je n'ai pas faim de cette vie-là.
Je n'en veux pas de cette grande soupe à la grimace.